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Une grand-mère attentionnée |
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Une grand-mère attentionnée
Nous sommes dans les années cinquante et Dorothée Gerenoode est un peu nerveuse. Elle attend son premier enfant. Dorothée et son mari Norbert vivent à la campagne. Ils ont tous les deux prévu que leur enfant naîtrait chez eux. D’ailleurs, le docteur Cassinave, leur voisin, est là en cas de problème. Ainsi que Marguerite Vérand, la sage-femme du village.
— Ma chère petite madame, je suis non seulement médecin mais aussi un peu voyant ! Je peux vous prédire que votre garçon, car ce sera un garçon, va naître le 24 décembre exactement.
— Ah, alors, si c’est vous qui le dites ! Vous avez en effet une jolie réputation dans le domaine des prévisions extraordinaires. Ne serez-vous pas un peu sorcier en plus de médecin ?
— Bah, je ne sais pas. Un don de famille peut-être.
— Cela m’amuserait de mettre votre don en défaut. J’aimerais beaucoup que mon fils naisse avant Noël. Ce sera si triste pour lui d’avoir deux fêtes en une seule journée.
— Hélas, il faudra qu’il s’y fasse. Tenez, je vous parie mes visites. Si votre fils ne naît pas le 24 décembre, tous mes soins seront gratuits pour vous.
— Et moi, s’il voit le jour à la date que vous prévoyez, je vous offrirai une caisse de saint-émilion dont vous garderez le souvenir.
Le 24 au matin Norbert Gerenoode avertit docteur Cassinave que les premières douleurs se font sentir. Le docteur répond :
— Je le savais, je passe chercher
Mme Vérand et nous arrivons chez vous !
Mais il faudra attendre le douzième coup de minuit pour que le jeune Hector Gerenoode arrive dans ce bas monde.
A peine remise, Dorothée Gerenoode, le front encore brillant de sueur dit au docteur Cassinave :
— Tenez, je savais que vous auriez raison. Hector est bien né le 24 décembre. Regardez dans l’armoire normande : votre caisse de saint-émilion vous attend. Et maintenant je crois que je vais dormir un peu, ça a été une rude journée. En tout cas pour moi !
— Je vais vous faire une petite piqûre qui va vous aider à récupérer.
Et Dorothée, l’injection administrée, s’endort presque instantanément. Le docteur Cassinave décide de rester quelques instants à son chevet. Le nouveau-né est dans un berceau ; déjà très occupé par son premier rêve sur cette terre. Mme Vérand quitte la chambre.
A peine est-elle partie que la porte s’ouvre à nouveau. Le docteur Cassinave tourne la tête et aperçoit une femme inconnue qui entre en prenant soin de ne pas faire craquer le plancher. Elle porte un tailleur en tweed dans les verts. Une tenue classique et élégante. Elle claudique légèrement. Sa chevelure d’un roux flamboyant resplendit dans la pénombre illuminée par le feu qui brûle dans la cheminée. Elle demande :
— Tout s’est bien passé ? Est-ce que l’enfant est en bonne santé ? Pas de problèmes ? Pas de malformations ?
— Regardez vous-même. C’est un des plus beaux bébés que j’aie jamais mis au monde. Un beau petit gars, bien charpenté. A la fois tout le portrait de son père et de sa mère.
La visiteuse se penche sur le berceau et sourit ; avec une pointe de mélancolie. Puis elle s’approche du lit de Dorothée Gerenoode et dépose un baiser léger sur le front de la nouvelle maman. Le docteur Cassinave l’entend murmurer quelque chose à l’oreille de la jeune femme qui dort profondément. Enfin, elle fait un dernier sourire au docteur Cassinave et sort de la pièce.
Le lendemain, le docteur Cassinave revient faire une visite de contrôle à la jeune accouchée. Elle est dans son lit, le jeune Hector entre les bras, et accueille le médecin avec joie :
— Ah ! je suis si heureuse que tout se soit bien passé. A présent, je me sens d’attaque pour donner à Norbert les cinq enfants que nous désirons.
Cinq ! Bravo, chère madame, j’aurai encore du pain sur la planche.
— Et nous verrons bien si vous arrivez encore à pronostiquer les dates d’arrivée des suivants avec autant de certitude que pour Hector. Ah ! docteur, je me sens bien et puis il faut que je vous dise : cette nuit, j’ai fait un rêve. J’ai rêvé que ma chère maman venait me rendre visite et qu’elle déposait un baiser sur mon front... Elle me disait : Bravo ma chérie. Je suis si heureuse que tout se soit bien passé.
Dorothée Gerenoode ferme les yeux et se laisse retomber sur son oreiller. C’est pourquoi elle ne prête pas vraiment attention à ce que lui répond le médecin :
— Mais ma chère enfant, ce n’était pas un rêve. Je n’ai jamais rencontré votre mère et j’ignorais même qu’elle fût chez vous en ce moment. Hier soir, dès que je vous ai administré la piqûre calmante, une dame est effectivement entrée dans la chambre et m’a demandé comment cela s’était passé. D’après son âge, ce devait être votre mère. Vous dormiez profondément et elle vous a embrassée sur le front en murmurant quelque chose que je n’ai pas saisi.
Mme Vérand est entrée sur ces entrefaites. Elle entend ce que dit le docteur Cassinave et proteste hautement :
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire, docteur ? Vous devriez savoir qu’il n’y a personne dans la maison à part M. et Mme Gerenoode, vous, moi et Hector !
Dorothée Gerenoode ne comprend pas très bien de quoi le docteur et la sage-femme sont en train de parler. Elle a du sommeil à rattraper.
Le lendemain, le docteur Cassinave revient pour prendre des nouvelles d’Hector et de sa maman. Norbert Gerenoode l’invite à venir fêter cette heureuse naissance en buvant un verre :
— Venez, j’ai un cognac de 1925 dont vous me direz des nouvelles. Je me réservais de l’ouvrir pour la naissance de mon premier fils. Il est bien normal que vous soyez le premier à en goûter la saveur.
En pénétrant dans le salon, le médecin remarque une photo dans un cadre argenté sur la commode et demande :
— Qui est cette personne ?
— C’est ma belle-mère. Enfin, je devrais dire : c’était ma belle-mère ! Une femme adorable mais qui a été tuée il y a dix ans dans un accident de chemin de fer.
Le docteur examine la photo en noir et blanc. La femme porte un tailleur en tweed. Une tenue de sport élégante et campagnarde.
— Est-ce que votre belle-mère était rousse ?
— Absolument, elle possédait des cheveux magnifiques, d’un blond vénitien qui lui venait de ses origines italiennes.
— Votre belle-mère ? Est-ce qu’elle boitait un peu ?
— Oui, et souvent elle s’appuyait sur une canne. Sauf en présence d’un étranger. Mais pourquoi ces questions. Est-ce que vous auriez connu ma belle- mère ? Cela me semble improbable : elle n’est jamais venue chez nous depuis que nous sommes installés ici.
Le docteur Cassinave vide son verre d’un seul trait. Il hésite un peu et dit :
— Alors, j’ai dû la rencontrer... ailleurs.
Deux ans plus tard, Dorothée Gerenoode et le docteur Cassinave découvrent ensemble la nouvelle naissance à venir :
— Alors, docteur, je compte sur vous pour me prédire la date exacte de l’événement. Et mon pari tient toujours!
Vos soins gratuits si vous vous trompez et une nouvelle caisse de bordeaux si mon nouvel enfant arrive à l'heure prévue par vous.
Marché conclu. La nouvelle héritière, car ce sera certainement une fille, débarquera chez vous le 17 octobre très exactement. Et puis, si vous voulez bien, j'aimerais bien une caisse de bourgogne cette fois-ci.
Dorothée éclate de rire en entendant les exigences de ce diable de docteur Cassinave.
Comme pour la première fois, les mêmes personnages rejouent la même pièce. Mme Vérand, la sage-femme experte et flegmatique. Le docteur Cassinave et Norbert Gerenoode qui cache sa nervosité en fumant cigarette sur cigarette dans le salon du rez-de-chaussée...
Comme pour la naissance d'Hector, la naissance d'Anaïs se passe fort bien. Et comme pour la naissance d'Hector, une fois les choses en ordre, le bébé est installé dans son berceau douillet. Norbert Gerenoode, enfin rassuré, est venu embrasser son épouse puis il est parti pour se coucher, plus épuisé que la maman. Le docteur Cassinave s'installe dans un fauteuil près du lit de Dorothée.
Il a complètement oublié l'incident étrange survenu le 24 décembre au soir, deux ans plus tôt. Et soudain, un peu effaré, il voit la porte de la chambre qui s'ouvre : de nouveau, la dame rousse et boiteuse entre dans la chambre. Elle est vêtue du même tailleur en tweed qu'elle portait deux ans plus tôt. La même tenue qu'elle porte sur la photo du salon.
La visiteuse regarde le docteur Cassinave qui sent une transpiration glacée lui couler le long de la colonne vertébrale. La visiteuse demande :
— Tout s'est bien passé ? Est-ce que l'enfant est en bonne santé ? Pas de problèmes ? Pas de malformations ?
Le docteur Cassinave reconnaît les mêmes mots et les mêmes intonations qu'il a entendus deux ans auparavant quand la dame est venue s'informer d’Hector. Automatiquement, il répond en utilisant les mêmes termes :
— Regardez vous-même. C'est un des plus beaux bébés que j'aie jamais mis au monde. Une belle petite fille, bien charpentée. A la fois tout le portrait de son père et de sa mère.
De nouveau, l'apparition se penche sur Dorothée Gerenoode endormie et de nouveau murmure des paroles inaudibles. Puis elle ressort de la chambre.
Le lendemain le médecin se précipite chez les Gerenoode dès que possible. C'est un dimanche et Norbert Gerenoode lui ouvre :
— Comment se porte votre épouse ? Et la petite Anaïs ?
Sans attendre la réponse, il explique :
— Il faut que je vous dise. Vous vous souvenez, il y a deux ans je me suis intéressé à votre belle-mère ? Vous m'avez dit qu'elle était morte depuis une dizaine d'années dans un accident. Eh bien...
Le docteur Cassinave raconte alors les deux visites fantomatiques. Quand Norbert Gerenoode entend la question que le fantôme de sa belle-mère pose : «Tout s'est bien passé ? Est-ce que l'enfant est en bonne santé ? Pas de problèmes ?
— Pas de malformations ?» Il explique :
Ma belle-mère avant de donner le jour à ma femme avait eu deux enfants, qui sont morts en bas âge. Tous les deux victimes de malformations cardiaques. Elle n'a jamais pu s'en consoler.
Lors de la troisième naissance chez les Gerenoode, celle d'un petit garçon prénommé Gabriel, elle ne vient pas aux nouvelles. Et le bambin meurt au bout de trois mois, lui aussi victime de cette malformation cardiaque qui désespéra sa grand-mère. Pour la quatrième et la cinquième naissance, elle apparaît à nouveau, toujours aussi rousse, et pose à nouveau la même question...
Le docteur Cassinave n'était plus là pour lui répondre.
FIN
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